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12 novembre 2011 6 12 /11 /novembre /2011 10:44

macaque-au-zoo.jpg   

Dans les années 1960, revenant du restaurant universitaire du Commerce, j’empruntai la rue Ozenne, rue rose de Toulouse, qui donne sur les allées Jules Guesde, bordée par un espace vert, le Jardin Royal, dont l’entrée est gardée par deux Ginkgo Biloba magnifiques. L’un d’eux donne des fruits dorés à l’automne qui s’écrasent sur la chaussée devenue glissante. Bien mûrs, les fruits dégagent une odeur  repoussante rappelant la crotte de chien. Je m’arrêtai alors un moment pour jouir de la réaction de quelques passants, peu au fait de la botanique ou trop occupés par leurs pensées pour lever le nez. Avec une moue de dégoût, ils cherchaient à éviter les pulpes écrasées, maudissant intérieurement les maîtres indélicats, incapables de dresser convenablement leur animal domestique.

 

Avant de rejoindre ma chambre d’étudiant, rue Montplaisir, j’avais l’habitude de traverser les allées pour entrer au Jardin des Plantes, jardin quasi désert à la mi-journée, les Toulousains étant d’ordinaire  à table.

Outre des espèces d’arbres rares ou remarquables par leur taille, un cèdre du Liban en particulier, le jardin abritait quelques animaux  maintenus en cage, probablement pour éveiller la curiosité des enfants jouant, l’après midi, dans les espaces verts.

 

J’avais remarqué deux cages accolées, de taille modeste, l’une occupée par un renard, l’autre par un blaireau. Le renard passait son temps à faire les vingt pattes, toujours les mêmes, devant le grillage et la porte d’entrée comme s’il attendait quelqu’un pour l’aider à sortir de sa condition d’emprisonné. Son regard était lointain ne prêtant attention ni aux visiteurs  qui observaient son manège ni aux enfants qui voulaient arrêter son allure de robot à l’aide de biscuits poussés dans les trous du grillage.

 

Le blaireau, animal nocturne, se contentait de dormir et ne se levait que pour uriner ou jeter un coup d’œil dans sa gamelle pour y découvrir une carotte, des feuilles de choux ou des morceaux de pomme.

 

jeune-blaireau.jpg

Deux autres cages, de volume plus imposant et formant un petit bâtiment autonome hébergeaient deux singes, un mandrill et un macaque rhésus. Le mandrill, sorte de babouin armé de fortes canines  et comme déguisé avec son postérieur violacé et son nez rouge entouré de sillons bleus, était impressionnant. Plutôt placide, il se contentait de lever les babines par défi tout en dégustant une pomme sans se soucier des visiteurs. Cependant, il tendait volontiers une patte plutôt fine à travers les barreaux de sa cage pour y recevoir des arachides, des bonbons ou des morceaux de pain d’épices ou de chocolat.

 

Je trouvais le macaque beaucoup plus intéressant car toujours en éveil, les arcades sourcilières montant et descendant plusieurs fois de suite, signe de curiosité et d’intérêt vis-à-vis de tout ce qui l’entourait.

Tantôt couché sur une banquette de bois installée dans la partie haute, au fond de la cage, ou assis devant les barreaux, en quête d’arachides ou autres aliments, sucrés, il ne perdait rien de ce qui se passait dans son entourage.

 

Arrivant près du bâtiment des primates, je remarquai  que les cages étaient vides et nettoyées, à grande eau. Je pensai que les pensionnaires étaient peut-être chez le vétérinaire ou au pire en quarantaine, le singe étant réputé vecteur de nombreuses maladies.

Le lendemain, pas plus de singe mais, arrêté devant la cage du macaque, un jeune homme que je pris pour un employé du jardin, son visage ne m’étant pas inconnu. Je lui demandai s’il savait où se trouvaient les singes et il me précisa qu’ils avaient été probablement  transférés dans un autre jardin, probablement le zoo voisin de Plaisance du Touch.

Quant à la raison de cette mutation, il ne savait pas exactement mais pensait qu’il n’était pas étranger à ce départ. Pressé de satisfaire ma curiosité, il me dit qu’il était étudiant en éthologie et qu’en disciple de Konrad Lorenz, il avait testé pendant plusieurs semaines les réactions du macaque face à des situations inhabituelles.

Il se mit alors à me détailler la nature très spéciale des tests proposés au macaque :

Au début, je l’observai attentivement. Toutes sortes d’aliments, en partie consommés, ainsi que des excréments jonchaient le sol de sa cage, indiquant que son appétit n’était pas limité à la ration de pommes et de légumes dispensée par le jardin.

Je lui offris un jour un sachet de sucre à yaourt rapporté du restaurant universitaire. Il déchira le papier, goûta précautionneusement cette poudre blanche puis, renversant le sachet, engloutit le tout. Je l’avais vu agir de la sorte avec une cigarette et apprécier fortement le tabac. Un autre jour, il montra une grande habilité à peler une mandarine, puis à tirer sur les feuilles d’un artichaut cru pour les mâcher du bon côté.

 

Pour le tester plus avant, je lui apportai toutes sortes de chose qui ne le laissèrent jamais indifférent. Ainsi, un oignon manipulé et pelé brutalement déclencha des larmes qu’il essaya  d’essuyer avec ses pattes antérieures puis de sécher en faisant plusieurs tours de cage à grande vitesse.

 

Un samedi après midi, j’achetai à une vendeuse de bonbons un gros caramel dur, de ces caramels foncés, de section carrée 3 cm et d’épaisseur voisine de 1,5 cm, sorte de bloc sucré, difficile à trouver, aujourd’hui. J’en lançai un au macaque qui le lécha prudemment sur ses faces avant de le faire disparaître dans sa gueule.

Quelques secondes plus tard, tournant le dos, il grimpa sur sa banquette haute, gonflant les joues et tâchant d’ouvrir la bouche, assis en s’aidant de ses pattes antérieures. L’animal avait goulûment enfoncé deux canines opposées dans la masse du caramel et celui-ci, pas encore assez chaud et malléable, lui avait soudé les mâchoires, retenues prisonnières, pour un temps. Ce n’est qu’après plusieurs minutes d’effort assortis de crachouillis sourds  qu’il put ouvrir la gueule pour en extraire un morceau de caramel qu’il lécha longuement. 

 

Une autre semaine, pour tester son psychisme devant une situation inattendue, je lui donnai un premier sachet de sucre qu’il ouvrit avec précaution avant d’ingurgiter son contenu. Je lui donnai alors un second sachet identique qu’il déchira puis goûta rapidement d’un mouvement de langue avant d’avaler le tout. Un troisième sachet prit le même chemin, à la pleine satisfaction du gourmand. Je lui fis alors passer un dernier sachet identique aux précédents à l’exception d’un petit trou ménagé dans un coin ayant permis de remplacer le sucre par du sel.

Le macaque sans se poser de problème engloutit le contenu du sachet comme les trois précédents.

Cinq secondes plus tard, toutes arcades relevées, il ouvrit la gueule, tirant une langue rose qu’il fit aller et venir contre le palais avec un mouvement rapide comme pour la nettoyer.

 Il s’élança alors dans une série d’allers-retours entre sa banquette et les barreaux de sa cage puis, gueule ouverte, se précipita vers sa cuvette d’eau  qu’il vida d’un trait. Se redressant et avançant lentement vers le centre de la cage, il me considéra d’un air à la fois perplexe et provocateur.  Puis, se retournant lentement, d’un geste vif et précis, comme pour nettoyer les miettes sur une table, de dos, il m’expédia un bout de carotte et une crotte sèche qui passèrent à travers les barreaux et effleurèrent  mon cou. Très irrité, il regrimpa alors sur sa banquette et s’allongea sur le ventre, me faisant comprendre par une mimique agressive que ma présence l’insupportait.

 

Choqué par ces tests, j’interrompis le flot descriptif : ceci n’a rien d’éthologique ! Votre expérimentation, plutôt cruelle, n’apporte aucun élément scientifique sur le comportement de l’animal. Je ne le sens pas comme cela! rétorqua t-il. Fils d’agriculteur, j’ai l’habitude des animaux tenus en cage. L’animal malheureux est celui que l’on ignore et qui déprime dans son coin, comme l’humain d’ailleurs. Au contraire, stimulé, l’animal développe une défense qui l’aide à vivre. Mais, laissez-moi terminer avec les tests  qui ont sans doute motivé le départ du macaque, en pleine santé, grâce à moi !

 

Certains objets que je fis passer entre les barreaux de la cage, un tube de dentifrice ouvert ou un rouleau de scotch ne laissèrent indifférents ni l’animal ni le gardien car ce dernier multiplia ses rondes. En effet, maculé de dentifrice séché et ceinturé de papier collant adhérant fortement aux poils de l’abdomen et d’une patte, le macaque avait du être endormi au barbiturique pour procéder à un nettoyage en règle.

 

Habitué à mes visites, le macaque me repérait de loin même lorsque j’arrivais, vêtu différemment ou le visage dissimulé derrière un journal. Il m’adressait alors un regard menaçant en regagnant sa banquette et se tenant bien droit comme pour m’impressionner et m’indiquer que de nouveaux tests ne seraient pas les bienvenus.

 

 Après les fêtes du Grand Rond, un jeudi, alors jour de congé scolaire,  je retournai voir le macaque et vis de loin un groupe d’écoliers, plutôt bruyants, agglutinés devant la cage en compagnie de leur maître. Au plus près des barreaux, deux rangs d’enfants me cachaient l’animal, sans doute ravi de goûter un restant de bonbons de la fête et des cacahuètes.

Je m’approchai lentement des enfants lorsque le macaque m’aperçut. Levant les sourcils au ciel et claquant des dents, il recula d’un bond puis se retournant, nettoya le sol de sa cage, par un mouvement simultané des deux pattes antérieures. Excréments et reliquats alimentaires volèrent à travers les barreaux, atteignant plusieurs enfants et leur maître, surpris par cette attaque inattendue et poussant des cris d’effroi. Assourdi par les cris des enfants, le macaque alla se réfugier sur sa banquette tandis que je m’éclipsai.

Cet incident dut être rapporté à la Direction du Jardin car une semaine plus tard, la cage du macaque était vide.

 

Lui précisant qu’en Angleterre de tels tests l’auraient conduit en prison pour un bon moment, il me salua d’un geste rapide et vida les lieux d’un pas pressé.

 

Sans doute n’a-t-il pas été le seul étudiant en éthologie à tester les réactions des animaux du jardin des plantes de Toulouse, car on n’y rencontre plus la moindre cage aujourd’hui.

 

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