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2 décembre 2012 7 02 /12 /décembre /2012 20:19

Niger-3.jpg 

                                             

Dans les années 1980, nombre de projets d’Hydraulique villageoise en Afrique de l’Ouest étaient financés par des bailleurs internationaux : le PNUD, la Banque Mondiale, la BID, la BAD et les Fonds de la Coopération.

Ils répondaient à un besoin vital : fournir de l’eau potable aux populations car le manque d’eau chronique lié à une sécheresse persistante depuis cinq ou six ans, en zone subsaharienne, provoquait la mort du bétail et l’exode des villageois.

 

Au Mali, dans le cadre du Projet PNUD MLI/007, l’objectif consistait à rechercher l’eau potable dans les zones de fracture au sein des grés ou au contact grès / schistes, dans les villages des cercles de Banamba, Kolokani et la partie méridionale du cercle de Nara.

 

La présence de filons éruptifs (dolérite) accompagnant les grès, matérialisés très souvent par un alignement de karités, représentait un signe favorable : les grés fracturés au contact de l’intrusion volcanique jouent le rôle de drain pour les eaux infiltrées pendant la saison des pluies.

 

Dans la plupart des villages, des sables et une cuirasse superficielle rougeâtre et ferrugineuse (latérite) empêchaient les hydrogéologues de localiser avec précision les fractures majeures visibles en photo aérienne ; c’est pourquoi, une prospection géophysique à base de mesures électriques -les grès lorsqu’ils sont aquifères provoquent une chute sensible de leur résistivité- et magnétiques – la susceptibilité magnétique d’une roche éruptive est très supérieure à celle des roches sédimentaires- fut systématiquement mise en œuvre le long de profils perpendiculaires aux fractures supposées.

Hydrogéologues et géophysiciens étaient alors en compétition pour implanter les forages sur des sites prometteurs.

 

Ainsi deux équipes de géophysiciens maliens supervisées par un expert expatrié, étudièrent, pendant deux ans, les conditions hydrogéologiques prévalant dans plus d’une centaine de villages. Le taux moyen de succès atteignit 75%  soit environ le double du taux de succès des implantations de forage effectuées à partir des seules données hydrogéologiques. Cela confirma la nécessité d’une prospection géophysique généralisée pour l’ensemble des villages..

 

Les forages de profondeur moyenne 60 m rencontraient d’habitude deux ou trois venues d’eau pour un débit moyen, voisin de 3 m3/h, suffisant pour alimenter en eau potable près de cinq cents villageois. Pour chaque forage de débit supérieur à 1 m3/h,  considéré comme positif, un deuxième forage était réalisé à cinq mètres du premier, pour servir d’ouvrage de secours en cas de problème technique sur le premier.

A l’aplomb des fractures, le forage devait être positionné à deux ou trois mètres près, le débit passant de quelques mètres3/h à quelques centaines de litres/h en moins de dix mètres.

 

Les deux équipes maliennes de forage opéraient au marteau fond de trou, réalisant chacune de l’ordre de 15 à 20 forages par mois.

 

Naturellement le chef de Projet ainsi que les bailleurs de fonds étaient tenus au courant des résultats, un taux de forage inférieur à 50% pouvant être jugé insuffisant pour financer de futurs projets.

 

Dans les premiers mois de la prospection, un certain nombre de forages négatifs, environ 10% du total, furent attribués à des causes humaines, difficiles à mentionner dans les statistiques officielles. En voici quelques exemples :

 

l’intervention du chef de village

A l’issue des mesures et de leur interprétation, deux ou trois sites d’implantation de forage étaient matérialisés sur le terrain par une borne en ciment pour informer les foreurs des emplacements favorables. Or, pendant la nuit, le chef de village, désirant être le premier servi en eau,  récupéra une borne pour l’installer dans sa concession ou à côté de son habitation,.

Cette pratique fut rapidement révélée car la coupe lithologique du forage négatif n’avait rien de commun avec les données interprétées.

Parfois, ce fut le sorcier local qui déplaça la borne, la trouvant trop près d’un arbre sacré et craignant la foudre des ancêtres.

 

le confort du foreur

Parfois le foreur arrivant près de la borne jugea sans conséquence de se déplacer d’une dizaine de mètres pour bénéficier de l’ombre d’un manguier ou pour rester sur une piste en dur. Or, au niveau d’un aquifère de fracture, un déplacement latéral de quelques mètres suffit pour réduire substantiellement le débit, voire réaliser un forage sec.

 

les conditions locales de vie

Dans le cadre des projets d’hydraulique villageoise, les foreurs restaient dans le même village entre quelques jours et une semaine en fonction du nombre de forages et étaient logés et nourris par les villageois.

Naturellement, lorsqu’ils étaient bien nourris avec abondance de viande, ils étaient prêts à forer aussi longtemps que possible. Il en était de même lorsqu’ ils trouvaient de la compagnie féminine pour leur faire oublier, le soir, les fatigues de la journée.

 

Par contre lorsque la nourriture était ni abondante ni carnée et que la communication avec les villageois était restreinte, les foreurs avaient hâte de quitter les lieux, expédiant les forages, oubliant d’effectuer les phases de développement ou d’acidification pour obtenir de l’eau claire.

Dans certains cas, ils arrêtèrent le forage prétextant qu’ils avaient atteint le substratum de quartzite ou la dolérite saine et imperméable, ce qui était inexact.

 

Ainsi, après un forage positif de débit 6 m3/h, les trois forages successifs implantés autour du premier, (à environ 5 mètres), ne livrèrent qu’un faible débit, 200 litres/h, comme si l’eau circulait, dans le sous sol, le long d’une colonne verticale. En réalité, les foreurs, pressés de déménager, avaient colmaté les arrivées d’eau par de l’argile, argile qu’il suffisait d’éliminer par soufflage pour obtenir de l’eau claire avec un débit exploitable.

 

les données flouées

 

Durant le forage à l’air au marteau fond de trou, des petits morceaux de roche (cuttings) remontent de façon continue et rendent compte de la nature lithologique et de l’état sain ou altéré des roches traversées. Le foreur ou l’hydrogéologue prélève alors une partie de ces cuttings pour chaque mètre de forage et dresse la coupe lithologique sous forme d’une série de petits tas dont le nombre correspond au nombre de mètres forés.

 

Niger-1.jpg

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Parfois, face à un contexte de quartzites et grès très fracturés ou la présence de cavités, les cuttings ne remontent pas. Craignant de laisser un trou inexpliqué dans la série de petits tas, le foreur combla ce trou lithologique par des cuttings prélevés dans les niveaux superficiels, oblitérant du même coup le pourquoi du débit élevé constaté pour ce type de forage.

 

Un autre cas de « truandage » de la part du foreur consista pour lui à annoncer une profondeur de forage supérieure à la réalité, d’une ou deux tiges de forage soit 3m ou 6m, déclarant que le forage, est arrêté dans la dolérite, très dure et stérile. En fait il a subtilisé les litres de carburant qui auraient été utilisés par le compresseur pour forer les 3 ou 6 m annoncés et les a revendus aux villageois à un tarif préférentiel.

 

Inversement, lorsque le débit du forage n’était que de 900 litres/heure et était donc négatif, le foreur, sollicité par les villageois, écrivit 1 m3/h sur la fiche de forage qui fut alors équipé d’une pompe à main.

 

Enfin, lorsque dans un village, les forages n’avaient point fourni le débit minimum attendu, le foreur avait l’autorisation de faire un trou sur la place du marché. Si ce forage était positif, le géophysicien et l’hydrogéologue ne tardaient pas à l’inclure dans leur liste respective de forages à succès.

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